
Introduction
Je vais aborder une fois de plus un sujet assez sensible 🤯, celui du racisme intériorisé. Pendant longtemps, je n’y comprenais pas grand chose, voir j’étais même franchement agacée par les prises de position de Rokhaya Diallo dans la sphère médiatique.
Je sentais que ça coinçait quelque part, mais je ne m’y intéressais pas plus que ça. J’avais d’autres préoccupations et je n’étais pas concernée. Et puis j’ai découvert le monde du travail où j’ai fréquenté majoritairement du personnel issu de la « diversité » comme disent les politiques. Et puis j’ai rencontré un homme originaire de Guinée, avec qui j’ai eu la chance de fonder une famille.
J’ai été confrontée aux problématiques raciales d’abord de l’extérieur en tant que collègue/amie, puis en tant que tiers inclus avec mon conjoint et enfin dans ma chair avec l’arrivée de mon enfant.
Pour en revenir au racisme interiorisé, une anecdote en particulier m’a permis de mieux le saisir.
Expérience de vie
Lorsque je travaillais en Ehpad, nous accueillions très régulièrement des stagiaires. L’une d’entre elle a marquée ma mémoire. Kadiatou était auxiliaire de vie dans une structure d’aide à domicile. Elle effectuait un stage pour devenir aide-soignante. J’ai tout de suite bien accroché avec cette femme et nous avions souvent des moments d’échange.
Au détour d’une conversation, elle apprit que mon conjoint était peul. Il s’agit d’une population principalement présente en Afrique de l’ouest. Elle m’expliqua qu’elle était issue d’une union de deux ethnies différentes: d’un père malinké et d’une mère peul. S’en suivit alors un discours de sa part que je qualifierai de « lunaire » sur les qualités et les défauts propres à ces deux origines.
Elle m’expliquait qu’elle avait hérité du physique de son père : la peau foncé, disposant d’une grande force physique. Sa mère quand à elle, avait la peau claire, elle était très belle mais fragile. Elle expliqua alors que pour être aide-soignante, il fallait être une « vrai africaine » avec de la force, qu’elle n’était pas très belle, mais qu’elle était « costaud ». Ce n’était pas la première fois, que j’étais confronté à ce type de clichés sur les peuls de la part de mes collègues d’origine africaine ou antillaise.
A la fin de la discussion, j’étais assez choquée et cela m’a longtemps questionnée. Je me disais que de tels propos tenus par une personne blanche aurait été qualifié à juste titre de propos racistes. Naïvement, je me demandais comment Kadiatou pouvait avoir assimilé de tels préjugés sur sa propre couleur de peau. Malheureusement, je n’ai pas eu l’occasion d’en rediscuter avec elle. Elle a rejoint le ballet incessant des stagiaires. Pour autant, la question a continué de m’habiter avant de découvrir le concept de racisme intériorisé, théorisé par Frantz Fanon.
Définition
J’ai eu du mal à trouver une définition en langue française (coucou l’académie française 👋), mais celle-ci qui a le mérite d’être claire: « état d’une personne racisée qui assimile les préjugés et stéréotypes contre son propre groupe racisé dont elle fait partie et qui en vient à s’auto-dévaloriser ou à perpétuer ces croyances en opprimant et en discriminant les membres de son propre groupe racisé ».
Les travaux de Frantz Fanon
Je me suis rendu compte avec étonnement que malgré mes études de psychologie, je ne connaissais pas Frantz Fanon. J’ai donc lu avec intérêt son essai Peau noire, masques blancs (1952) et il gagne vraiment à être connu plus largement du grand public.
Je ne vais pas faire une fiche détaillée de son essai. J’ai tiqué sur certains aspects, mais il ne faut pas oublier qu’il date des années 50 et que bien des choses ont évolués d’un point de vu théorique et sociétal. Cependant, son texte est très puissant et original sur plusieurs point. Déjà il part de son expérience personnelle pour développer sa pensée. Ensuite son approche de psychiatre d’orientation psychanalytique, lui permet de démontrer le phénomène de domination psychologique à l’oeuvre chez un sujet colonisé. Il étudie les effets de la domination économique, politique, culturel sur le sujet et le groupe. Pour lui, le système colonial est fondamentalement raciste car il repose sur une logique de supériorité européenne de l’homme blanc. Le colonisé change de référentiel et cette aliénation provoque un phénomène de négrophobie du noir envers le noir.
« Avoir la phobie du nègre, c’est avoir la peur du biologique. Car le nègre n’est que biologique. »
« Pour la majorité des Blancs, le Noir représente l’instinct sexuel (non éduqué). Le nègre incarne la puissance génitale au-dessus des morales et des interdictions. […]Nous avons montré que le réél infirme toutes ces croyances. Mais cela se place sur le plan de l’imaginaire, en tout cas celui d’une paralogie ».





L’expérience des poupées
Cette lecture m’a permis de comprendre que Kadiatou souffrait probablement de racisme intériorisé, auquel se surajoutait sa condition de femme. Preuve en est que ce concept n’est pas une vue de l’esprit, il a été démontré dans la célèbre expérience de 1947 des poupées des américaines Kenneth et Mamie Clark « Racial identification and preference among negro children. ».
Dans cette expérience, des enfants afro-américains de 3 à 7 ans répondent à une série de huit questions autour de quatre poupées (deux noires et deux blanches). L’étude montre que les enfants noirs souffrent dès leur plus jeune âge d’un sentiment d’infériorité et de problèmes identificatoires.
Cette expérience a été renouvelé en parti pour le documentaire Noire en France de Aurélia Perreau et Alain Mabanckou. Les réponses des fillettes en 2022 interpellent. Qu’une enfant de moins de 10 ans souhaite mettre de la crème pour se blanchir la peau est vraiment problématique.
Conclusion
En guise de conclusion, ce sentiment d’incompréhension que je pouvais ressentir sur ce sujet, a évolué avec le temps, en me documentant, en déconstruisant mes préjugés, en me confrontant à l’altérité. Ce n’est pas une démarche facile et confortable, mais au final, j’en ressors enrichi et j’espère une alliée pour la communauté.
Référence:
- Peau noire, masques blanc, Frantz Fanon, 1952, édition Le Seuil
- Les Damnés de la Terre, Frantz Fanon, 1961, édition La Découverte
- Dossier France Culture
- Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire, 1950, édition Présence africaine
- Podcast Kiffe ta race
- Compte angry_afrofem
- Compte sid.uzl: éducatrice spécialisée
- Compte vietkrmpzh: Quốc Anh
- Compte decolonisonslefeminisme: collectif de femmes et minorités de genre racisé.e.s
- Compte sansblancderien: éducation et sensibilisation à l’antiracisme & à la blanchité
- Compte histoires_crepues: écrivons notre Histoire !
- Compte racisme.invisible: antiracisme intersectionnel
- Compte ti_boug_bumidom : militantisme antiraciste



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