Femme combattant un virus.

« Je ne suis pas un héros! »: être soignant.e durant la crise covid-19

Introduction

Presque deux ans après le début de la crise et avec la sortie du livre Les fossoyeurs de Victor Castanet, je souhaitai reposter ce texte écrit en plein cœur de la tempête. Depuis j’ai démissionné, mais avec le recul, je peux dire que cette expérience m’a traumatisée.

Témoignage

Avril 2020: Le jour où j’ai signé pour être psychologue en Ehpad, je n’ai pas prononcé mes vœux pour rentrer dans les ordres. Je n’ai pas signé pour risquer ma santé et celle de mes proches. Je n’ai pas signé pour être prise pour la folle du village quand j’ai voulu alerter.

Confinée après avoir été contaminée, j’ai vite compris que mes résidents allaient crever comme des chiens. Ils ne méritaient pas ce qui leur est arrivé. J’ai réalisé que j’en avais vu certain pour la dernière fois. Autant de fantômes qui me hanteront pour toujours. Je les vois encore en arpentant les couloirs vides.

Mes collègues ont vécu des scènes qui dépassent l’entendable.

Les proches des résidents ne voient pas le corps. Le cercueil est scellé en chambre. Il y a un mois, qui aurait pu soupçonner qu’ils partageaient un moment ensemble pour la dernière fois.

On croit que nos vieux sont éternels, mais ils ne le sont pas.

Je ressens une tristesse infinie. Je ne veux pas les oublier. Je ne veux pas pardonner. Je n’en ressortirai pas indemne. Cette crise a ébranlé ma vocation d’accompagner les personnages âgées dans ce système inhumain et dégueulassasse que je ne peux plus cautionner.

Les soignants ne sont pas des héros: un héros n’a pas peur. Un héros ne pense pas. Un héros agit. Un héros n’a pas le choix d’être un héros. Etre un héros nous assigne au silence. Chaque jour j’ai peur, mais j’essaye de penser. On fait notre travail en prenant des risques, mais a-t-on vraiment le choix, je ne crois pas.

Au moins, la pluie a remplacé ce soleil indécent.

L’après c’est déjà maintenant. J’ai réalisé douloureusement que nos existences ne seront plus les mêmes. J’ai encore un petit espoir qu’un tournant civilisationnel est en train de se jouer, mais ce vieux monde lui n’a pas l’air de vouloir mourir. Pourtant, regardez où il nous a mené?

Ce soir à 20h, à la fenêtre avec ma fille dans les bras, nous applaudirons les soignants, nous applaudirons son papa, tous ceux qui bossent et ceux qui sont confinés sur un air de « Je ne suis pas un héros ».

In memoriam 🕊

  • Huguette A.
  • Jacqueline BR.
  • Aïda B.
  • Christine B.
  • Hélène D.
  • Guiseppina G.
  • Janine G.
  • Fernande H.
  • Van Dien H.
  • Nicole P.
  • Gerard P.
  • Abdoulhoussen R.
  • Marie-Louise V.
  • Huguette V.
  • Germaine S.
  • Paulette T.
  • Gerard T.
  • Messaoud B.
  • André E.
  • Josefà BT
  • Yvette R
  • Anh L.

Et surtout Amagny, ma grand-mère 💖…

Podcast Lettres d’intérieur: « Je ne crois pas aux bons côtés du confinement, aux vertus de ces jours désemplis » – Gaël Faye

4 ans plus tard 👋

Je suis toujours psychologue auprès d’un public senior, mais je travaille à présent à mon compte. Cette crise m’a fait évoluée politiquement, je me suis beaucoup documenté et je suis devenue anti-capitaliste.

Les réseaux sociaux sont gangrenés par le complotisme. J’ai même vu des collègues y sombrer. Je ne suis sur de rien mais je préfère mettre mon énergie dans des actions constructives.

Même si cet article n’est pas le plus lu, je souhaite le garder sur mon site car c’est une façon pour moi de rendre hommage à ces humains dont j’ai croisé la route. Même si chaque jour qui passe fait de cette crise un lointain souvenir, cela permet de ne pas les faire complètement sombrer dans l’oubli.

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2 réponses à « « Je ne suis pas un héros! »: être soignant.e durant la crise covid-19 »

  1. […] également travaillé dans un milieu ou j’ai côtoyé la mort de près (Ehpad, équipe mobile de soins palliatifs ) et je n’en suis pas ressortie indemne. […]

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  2. […] et largement féminins, restent marqués par des rapports de domination persistants. En tant que professionnelle dans ce domaine, je suis bien placée pour constater leur rôle indispensable dans nos sociétés. […]

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