Introduction
Le titre de ce post est volontairement provocateur, taquine que je suis, mais le contenu sera plus nuancé 😉.
Après cinq années d’études et un diplôme d’état en psychologie, j’ai été dans un premier temps assez séduite par le coté coloré et accessible du développement personnel.
Un beau jour, j’ai découvert Julia De Funès (la petite-fille de Louis) en interview pour son livre Développement (im)personnel, le succès d’une imposture. Ces propos ont piqué ma curiosité et je me suis procurée son ouvrage.
Au premier abord, je la trouvais assez sévère, mais force est de constater qu’elle m’a convaincu que le développement personnel s’apparente une vaste arnaque !
Julia de Funès explique les raisons du succès du développement personnel en étudiant ses rouages théoriques (c’est vite fait 🤣) et ses techniques. Dans la troisième et dernière partie que j’ai beaucoup aimé, elle propose une déconstruction en empruntant des concepts philosophiques.
Les raisons du succès
L’autrice part d’une perspective historique. Dans l’antiquité occidentale, une vie réussie consistait à trouver sa juste place dans l’ordre cosmique. Puis, ce fut la pensée religieuse qui faisait figure d’autorité. Les valeurs humanistes ont pris le relais mais leur déclin a provoqué un profond désenchantement.
Pour l’individu moderne occidental (c’est moi qui insiste sur cet aspect, car c’est fort différent ailleurs dans le monde), son centre de gravité et de référence devient lui-même… Elle le compare à un Narcisse des temps modernes, le lac ayant été remplacé par les écrans des réseaux sociaux qui lui renvoient une image idéal.
L’intériorisation des contraintes engendre de la culpabilité. Elle fait le lien avec l’émerge de pathologies modernes type burn-out, dépression, addiction.
Les coachs qu’elle qualifie de « nouveaux tartuffe » prolifèrent dans ce marasme. Elle en dresse un portrait peu flateur qui n’engage qu’elle mais qui a eu le mérite de me faire rire. « Le coaching est à la psychanalyse ce que l’homéopathie est à la médecine ». ça tire à balles réelles chez les De Funès !
Elle montre que ce mouvement récent est fortement hétéroclite. Elle place les coachs dans la lignée des sophistes grecs ou des médecins décrits dans les pièces de Molière.
Enfin le guerre de la nerf : le pognon🤑 ! D’après la CNIL, en 2017, le marché des livres en développement personnel représentait la modique somme de 53 millions d’euros. Sans compter les certification en coaching etc.
Pourquoi ces livres marchent ? Parce qu’il y a une demande qui répond à une besoin, celui de l’accomplissement personnel, qui est devenu l’alpha et l’omega d’une vie réussie. Ces livres répondent aussi à un second impératif d’égo-centrisme. Ils sont porteurs de promesses sur les fantasmes les plus communs, en jouant sur l’attrait de la rapidité. La volonté est toujours présenté comme un pouvoir absolu « Quand on veut on peut ma bonne dame! ».
Les coachs sont des séducteurs qui génèrent un climat anxiogène en s’appuyant sur la peur. Effectivement personne n’a envie d’être un raté. Le mal-être y est banalisé. L’auteur s’exprime avec connivence, sur un ton faussement empathique. Le lecteur est ensuite valorisée, ce qui ouvre la porte à la manipulation. L’auteur lui promet de transformer son rêve en réalité en faisant abstraction des contraintes internes ou externes. Les attentes y sont instrumentalisées. C’est le prima du principe de plaisir sur celui de réalité.
Ils usent du champ lexical du rêve, de l’imagination car forcement un réel contraignant et décevant, c’est nettement moins vendeur. D’ailleurs, la manipulation des mots et leur emploi à mauvais escient est une marque de fabrique. Elle prend l’exemple de la confiance en soi et de la volonté dont le sens est dévoyé.
Ces ouvrages proposent des recettes simplistes qui donnent une illusion de contrôle. Ils proposent une vision réductionniste et mécanique de l’individu. Les liens biologiques, physiologiques, historiques, sociaux n’y sont jamais abordés, les questions politiques sont évacuées.
Ils y proposent des recettes sur le principe de l’injonction paradoxale, c’est-à-dire avec des objectifs inatteignables et contradictoires. Pour Julia De Funès, les guides de développement personnel sont aux mieux une perte de temps (et d’argent) au pire une impasse. Pour ma part, j’irai plus loin, en avançant qu’ils peuvent potentiellement être nuisibles pour des personnes véritablement en attente d’un résultat, et altérer une estime de soi déjà mise à mal.
Elle dénonce aussi des emprunts au mysticime, technique très pratique qui permet de sacraliser la parole de l’auteur. Ses idées ne peuvent plus être confrontées ou contredites car la croyance a remplacé la connaissance. Le lecteur est invitée à croire plutôt qu’à penser. Arrêtez-moi mais ce n’est pas une des caractéristiques propre aux gourous ? Je trouve cette pratique particulièrement dangereuse car en plus d’emprunter des concepts à d’autres cultures qu’elle vide de leur substance (é que s’apelerio appropriation culturelle), elle ouvre à des dérives sectaires. Tout à coup, je trouve ça nettement moins fun le développement personnel 🤨.
Depuis le covid, les « praticiens » (parce que c’est le nouveau terme à la mode pour les gens pas diplômé) en tout genre pullulent sur les réseaux sociaux et dans les cabinets.
Pour aider à faire le trie, la Miviludes (=Mission interministérielle de lutte contre les sectes) dans son dernier rapport d’activité datant de 2021, donne quelques questions à se poser.



Les idéologies dans le développement personnel
La troisième partie, celle que j’ai préféré, reprend les différentes idéologies sur lesquelles repose le principe du développement personnel.
La rationnalisation
La première idéologie est la rationnalisation, c’est à dire rendre conforme à la raison. Que ce soit dans les traditions rationalistes ou empiristes, la raison et les sentiments se heurtent toujours et sont en permanence en conflit. C’est illusoir de penser que l’on peut faire abstraction de l’un ou de l’autre. Elle cite Nietzche, « sous chaque pensée gît un affect » (Fragments posthumes).
L’introspection
Elle reprend les concepts philosophiques qui montrent que le moi est une fiction. L’identité est toujours en mouvement, c’est une succession d’états mentaux. C’est l’imagination qui permet de relier les différentes perceptions et de donner une cohérence à soi-même. Elle cite David Hume qui compare la personnalité à une nation : « L’unicité de la personnalité peut être assimilée à celle d’une république ou d’un commonwealth dont les membres ne cessent de changer tandis que les liens d’association demeurent » (Traité de la nature humaine).
Comme nous l’avons déjà vu, dans l’antiquité, la démarche était de découvrir sa place dans le monde. Socrate invitait déjà à entrer dans un questionnement singulier et de se détourner des solutions préfabriquées.
La toute puissance
La volonté est vue comme pouvoir absolu. Seulement avoir conscience des choses ne suffit pas, autrement tous les fumeurs arrêteraient la cigarette. Par contre, avoir conscience de son problème, est un bon préalable avant d’entamer une psychothérapie.
Julia de Funès prend l’exemple des souvenirs involontaires, décrits par Proust dans sa célèbre anecdote de la madeleine. La conscience de soi nécessite une certaine temporalité, un recul. L’idéal serait selon elle, d’avoir une vie active complétée par une attitude contemplative, ce qui est rendu difficile dans nos sociétés.
L’alignement
La coincidence avec soi-même relève du vœu pieu car c’est méconnaître la dualité permanente de la nature humaine. Le développement personnel cherche à faire correspondre à un individu, un rôle une image. Ce qui a pour inconvénient de le pétrifier dans une posture.
Pour Paul Ricoeur (le mentor de Macron…), nous sommes des êtres de promesses et c’est ce qui nous inscrit dans l’existence. Nous existons par notre ouverture aux autres. Etre soi et se maintenir nécessite une projection dans l’avenir que nous pouvons effectuer via autrui.
L’intellectualisation
Nous ne sommes pas de pures êtres de raison obéissant à des comportements rationnels. De plus le développement personnel ne prend pas en compte le contexte socio-économico-politico-culturel dans lequel un individu évolue. Il y a de nombreux paramètres qui ne dépendent pas de nous et sur lequel on ne peut pas avoir de prise.
L’approche analytique
Pour Julia de Funès, le coach se cache derrière une approche pseudo-scientifique. Pour Bergson, le but d’une existence, est de retrouver son énergie profonde en se référant à son intuition et ses émotions. Le plus grand des malheurs étant d’être coupé de soi-même. C’est d’ailleurs un outil de travail en systémie ou en thérapie cognitivo-comportemental qui sont des courants en psychologie.
A ce sujet, le conseil de l’ordre infirmier a publié des recommandations très intéressantes sous forme de fiches sur les pratiques non-conventionnelles, à savoir l’art-thérapie, l’auriculothérapie, le décodage biologique la fasciathérapie, l’hypnose ericksonienne, la médecine anthroposophique, la médecine intégrative, la méditation pleine-conscience/mindfulness, la naturopathie, la réflexologie, la sophrologie, les thérapies trans-générationnelles.
La rapidité
La vitesse et la facilité sont valorisées dans le coaching. Le temps est objectif, quantifiable, tandis qu’un être s’appréhende dans la durée. Cela me fait penser à un proverbe africain que me rapportait un jour mon conjoint « En Europe, vous avez la montre, nous nous avons le temps 😂 ». Ce qui rejoint également une expérience que j’ai fait au cours d’une formation avec une musicothérapeute qui nous avait fait expérimenté la différence entre le temps cronos et le temps kairos. Nous avions déambulé les yeux bandés dans le hall de l’hôpital, en nous fiant à notre audition. Le temps passé et ressenti n’avait absolument rien à voir.
On peut retourner le problème dans tous les sens, c’est l’effort et la discipline qui donne de la force et de la consistance à notre être et nos projets. Elle cite Nietzsche qui dit que « Qui veut être éclair doit rester longtemps nuage » (Fragments posthumes). Comme dans une grossesse, il y a un temps incompressible pour certaines choses. Il faut accepter une certaine dose de frustration dans nos existences.
Conclusion
Elle conclue en disant que le développement personnel est une invitation à la soumission. Il tient une double discours mensonger et dans le fond profondément méprisant et infantilisant envers son client. Elle invite quand à elle à une démarche philosophique.
Pour ma part, j’ai trouvé cet essai intéressant. J’aurai aimé une partie avec des apports issus de la sociologie et de la psychologie qui peuvent être très éclairants pour compléter ses propos.
De plus, la philosophie est malheureusement difficile d’accès. J’ai été assez rebutée au lycée par une enseignante acariâtre, mais j’ai toujours été intéressée par la philosophie antique que je redécouvre via les BD de Luc Ferry (même si je n’apprécie pas ses prises de position sur l’écologie et d’autre sujet de société).
Maintenant que j’ai lu ce livre, les ficelles du développement personnel me saute aux yeux sur les réseaux sociaux. C’est d’ailleurs assez amusant à déconstruire. Par contre, je ne jetterai pas tous les coachs aux orties. Il y a des psychologues incompétents et inversement des coachs rigoureux et professionnels.
La qualité de la relation thérapeutique est primordiale dans une relation de soin. Pour reprendre ce que disais un de mes enseignants à l’université, l’importance dans nos métiers, c’est de faire attention à ne pas finir par se prendre pour ce que l’on est.
Prenez garde aux coachs, thérapeutes, praticiens qui promettent monts et merveilles. Vous n’oublirez pas votre ex en cinq leçons. Vous ne deviendrez pas riche en 21 jours. Vous n’alignerez pas vos chakras en 8 semaines. Vous ne ferez pas de votre vie un rêve éveillé en trois conseils. Ces beaux parleurs ne sont purement et simplement que des menteurs !

Petit exercie pratique:
- Sauras-tu retrouver 5 clichés propres au développement personnel sur cette image? 😉
- Toi aussi invente 3 titres de guides en développement personnel.
Références:
- Développement (im)personnel, de Julia de Funès, édition de l’observatoire, 2019
- Emission Secrets d’info sur France Inter, Les dérives du coaching, de Jacques Monin et Marjolaine Koch, du 17 novembre 2018
- Podcast Méta de choc : Comment repérer un coaching dangereux
- Episode de la tronche en biais : Ésotérisme, les gourous du new-age
- Rapport Miviludes 2021 (ministère de l’Intérieur, novembre 2022) p.100 à 110
- Engrainage Le New Age, fausse route vers une société désirable
- Pour celles ou ceux qui souhaitent une perspective religieuse, la chaine KTO a traité le sujet dans cette vidéo.



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